Gennaro et Adeline, c’est la rencontre de deux personnalités. Lui, l’Italien aux yeux charbonneux, architecte volubile et citadin. Elle, la Française blonde un brin rêveuse et fantasque, attachée à sa campagne natale. Un cocktail détonant ! En venant étudier à Turin, Adeline a trouvé sa voie. En se mariant, la question de l’éducation des enfants s’est évidemment posée. Comment concilier cette double culture ?
Une décision de couple
On dit souvent que l’histoire se répète. Celle d’Adeline semble s’inscrire sur les traces de ses parents… Sa mère, d’origine belge, était venue faire un baby-sitting en France avant de tomber amoureuse de son père. « J’ai toujours regretté de ne pas avoir appris à parler flamand ! Grâce à mes cousins, je sais compter jusqu’à dix dans cette langue, mais je trouve dommage que mes parents n’aient pas favorisé cette double culture. Je ne voulais surtout pas répéter cette erreur avec mes enfants ! » raconte Adeline. Sa plus grande chance est d’avoir un mari ouvert à la culture française. « La France est un pays de Cocagne pour les Italiens ! » confie Gennaro qui apprend « à l’oreille » le français en moins d’un an. Il s’amuse encore de sa première présentation à ses beaux-parents quand il déclama avec fierté : « Bonjour Monsieur, je suis très content de faire LA votre connaissance ». Ensemble, le couple franco-italien décide de « mettre toutes les chances de son côté pour que leurs enfants deviennent parfaitement bilingues ».
Des règles de vie
Déterminée, Adeline ne laisse rien passer : « J’ai réussi à imposer le français à la maison. Dès que mes aînés rentrent de l’école, la bascule se fait instantanément. Pari gagné : ils jouent ensemble en français ! » Aurelio, dix ans, avoue même rêver dans la langue de Molière ! Autre règle déterminante : « pas de télévision à la maison ! » Comme tous les petits Français, les enfants regardent de temps en temps Tchoupi, Petit Ours Brun et les Cités d’or en DVD. Adeline a remarqué qu’il arrive à sa fille, Isabeau, 6 ans, de jouer en italien quand elle est seule. « Elle a plus regardé la télévision que les autres chez ses grands-parents ! ».
Dernier point non négociable : toutes les vacances se passent en France avec la bande de cousins ! Rien de tel pour s’imprégner d’une culture et implanter ses racines. Et recadrer de temps en temps l’éducation des enfants !
L’ouverture à l’autre et le respect
« Nous avons choisi de les mettre dans une école publique européenne où ils ont 3h de français par semaine. Et où ils apprennent l’histoire de France et pratiquent d’autres langues. Il y a aussi des classes d’anglais et d’allemand. Cette année, mon fils Aurelio est parti en voyage de classe sur une péniche à Lyon. Là-bas, il s’est senti comme un poisson dans l’eau ! Les enfants ont leurs meilleurs amis français ou bilingues. Nous sympathisons avec Italiens, expatriés (pas forcément des Français) et couples mixtes. C’est la culture cosmopolite !
Nous nous remettons aussi en question. On essaie de s’adapter et de respecter le ressenti des autres ! Au départ, nous parlions systématiquement français entre nous chez mes beaux-parents, mais mon beau-père nous a demandé d’arrêter. Il comprend le français quand on parle doucement, mais il s’agace de nous voir faire des apartés avec les enfants. Tous deux ont l’impression de rater quelque chose ! »
Des richesses à transmettre
Adeline souhaite offrir à ses enfants ce qu’elle aime dans les deux cultures. « Ce que je préfère chez les Italiens, c’est leur liberté. Ils ne se préoccupent pas du « qu’en dira-t-on ? » si cher aux Français et ne portent aucun jugement sur les autres, y compris sur l’éducation. Chacun fait comme il le sent. Là-bas, on se s’offusque pas si on allaite sa fille de 18 mois ou si les enfants se couchent tard. Comme il n’y a aucune aide de l’Etat, la société se construit autour de la famille. Il y a plus de cohésion entre les générations ! En même temps, j’aime le côté carré des Français. Leur modèle d’éducation me manque parfois, car les enfants ont un rythme bien défini. Finalement on essaie de mixer l’éducation « loufoque » italienne avec celle française plus rigide ! » Gennaro complète : « Dans le Piémont, la réussite est importante. Mes parents m’ont toujours dit que mon devoir d’état était l’école. Je n’aidais jamais à desservir la table pour aller vite travailler. J’aime aussi dire à mes enfants de rendre service comme cela se fait dans les familles françaises. Pour moi, l’esprit de service est maintenant aussi important que le devoir de réussir. Finalement on n’est pas fixé sur un modèle d’éducation : on pioche dans l’un ou l’autre. Avant tout, nous voulons transmettre une ouverture d’esprit à nos enfants. »
En signe de cette « mixité » culturelle, Gennaro et Adeline ont choisi des prénoms à la symbolique forte pour leurs enfants, tout en veillant à ce qu’ils soient bien prononcés dans les deux langues. L’aîné porte un prénom italien (Aurelio), le second aux consonances germaniques rappelant le Flamand (Thybalt), la troisième emprunté à l’histoire familiale (Isabeau), la quatrième à l’époque médiévale (Isolde dérivée d’Iseult) et la dernière à l’écriture française pour une prononciation sans faille (Adélaïde au lieu d’Adelaide en Italien). « On souhaite que nos enfants se sentent bien dans les deux pays ! » Pour ces derniers encore jeunes, choisir entre deux langues ou deux cultures serait comme choisir entre leurs parents ! Un choix impossible à faire et certainement un précieux atout pour l’avenir !